Les quais



Je me suis assis sur le quai et j’ai écrit des mots, ceux qui me venaient, ceux que je savais écrire.

"Les boues roulent des rondins dans les eaux agitées et au rythme des marées, ils cognent les rives bétonnées. Le bruit est sourd, silencieux.
Les âmes des dockers, lasses, hantent encore ces lieux. Elles pleurent un métier perdu. Elles errent à la recherche d’un présent où elles n’ont plus de place. Elles s’endorment pour toujours, une à une.

C’était un temps où chaque matin des cohortes d’hommes forts ou brisés attendaient d’être embauchés pour subsister un jour de plus. La fourmilière s’agitait, toujours en ordre, avec efficacité. Le syndicat puissant y veillait.
Le bruit du roulement des cerclages sur les pavés m’habite encore.
Les grues, carcasses d’acier, sont rouillées. Elles finissent par disparaître, démontées par le temps qui passe.    

Je me souviens, images parfaites, des trains de marchandises qui grincent sur leurs rails. Ils portent ce que les bateaux ont vomi. Ils coupent la route dans la nuit, trains fantômes chaotiques. Ils traversent les quais pour rejoindre la gare.
Le noir, je me rappelle du noir. Le noir de la nuit. Le noir de ces trains, le noir de la route. Le noir des voitures et du fleuve."


J’avais jeté ces mots sur un calepin rien que pour moi. Ils me faisaient du bien et c’était là l’essentiel. Je les ai relus, peu convaincu qu’ils puissent être compris.
Je me suis relu encore une fois, j’ai corrigé deux fautes d’orthographe, je me suis levé, mis de l’ordre dans mes vêtements, approché de la berge et j’ai jeté le calepin.
Il a flotté un instant puis a disparu dans les eaux...

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